Déforestation et automobile
que se passe-t-il exactement au circuit de Dijon-Prenois ?

 

Détruire plus pour polluer moins ?

Pour sûr, le circuit automobile de Dijon-Prenois est une grosse machine. Comme s’en targue le magazine publicitaire « Dijon métropole » dans son numéro du printemps 2018, « les chiffres sont éloquents : 235 jours de roulage auto et moto chaque année, 300 000 visiteurs et près de 70 000 nuitées ainsi générées sur le territoire de la métropole. » Depuis, quelques années, la grosse machine semble avoir connu un renouveau après un certain passage à vide [voir notre article « … »]. Ce renouveau serait sur le point de s’achever sur une note honorablement écologique : « La dernière tranche, en cours, porte sur la réduction de l’impact environnemental de l’activité du circuit. » Qu’est-ce à dire ?
Lorsque l’on cherche des informations plus précises sur cette « réduction de l’impact environnemental », on apprend en réalité qu’il s’agit d’un projet d’extension qui menace entre 30 et 50 hectares de forêts, voués à être rasés afin de permettre la création d’un complexe hôtelier, d’une nouvelle piste d’essai de 2600m et d’un parking géant.
On a du mal à comprendre. Est-ce parce que les touristes suisses n’auront plus besoin de faire le trajet jusqu’à l’hôtel de la Cloche (puisqu’ils seront confortablement logés sur place) que l’impact environnemental du circuit sera réduit ?

Devant une telle énormité, difficile de ne pas devenir paranoïaque. On se dit qu’il y a anguille sous roche. Mais alors, que se passe-t-il réellement à Prenois ? Comment est-il possible qu’un tel projet puisse voir le jour ?

 

Distraction forestière

Tout d’abord, il faut corriger les propos inexacts de Dijon-métropole : la dernière tranche n’est pas « en cours », elle est plutôt « en négociation ». En effet, l’actuelle emprise du bail emphytéotique alloué à l’entreprise qui gère le circuit, ne lui permet pas encore de réaliser ses rêves mégalomaniaques. Les espaces non bâtis inclus dans ce bail doivent être trop accidentés pour imaginer y construire quoi que ce soit. Qu’à cela ne tienne, il suffit de soudoyer la mairie et de lui proposer de se dessaisir de 50 hectares de bois communaux. Malheureusement pour nos industriels du loisir automobile, une loi protège encore la forêt. En plus de soudoyer la mairie, il faut parvenir à effectuer une « distraction du régime forestier », c’est-à-dire à transformer les 50 hectares concernés et encadrés par le régime forestier pour l’instant, en 50 hectares constructibles. Problème : lorsqu’il est possible de sortir de ce régime, un certain nombre de mesures législatives accompagnent cette modification. Il faut par exemple s’affronter aux normes concernant les mesures de compensation. L’association foncière qui est bénéficiaire du bail, semble avoir proposé un deal apparemment honorable : « en échange de la destruction de 50 hectares d’anciens bois communaux, on reclasse nos 50 hectares inconstructibles en parcelle forestière ». Donnant-donnant, quoi. Malheureusement, cela n’est pas aussi simple. En France, lorsque vous détruisez 50 hectares de bois, vous devez en replanter autant. C’est ce que la CDPENAF1 durant sa séance du 19 avril 2018 a déjà stipulé à nos chers constructeurs en demandant une révision des mesures de compensation tout en remettant un avis positif sur le projet. L’Office nationale des forêts (ONF) elle-même, pourtant perpétuellement au bord de la faillite et qui n’est plus à un compromis prêt avec les aménageurs de tout poil, semble bloquer le dossier pour l’instant, exigeant qu’on soit un peu plus respectueux des normes environnementales.
Comment le projet va-t-il se sortir de ce faux pas ? La présidence du circuit de Prenois tentera-t-elle le passage en force quitte à payer des amendes a posteriori, ou mettra-t-elle de l’eau dans son vin ? À moins qu’elle ne soit tout bonnement arrêtée dans ses absurdes desseins par quelques riverains excédés qui, après la sécheresse historique de l’été 2018, commencent à s’inquiéter des conséquences de la pollution automobile sur la possibilité d’un avenir commun.

 

Une mairie sous tutelle ?

Mais au fait, qui est aux commandes dans toute cette mascarade ? Et quelle est la place de la mairie de Prenois ?
Tout d’abord, un trouble existe quant à la gestion du circuit lui-même. Bien que « Dijon métropole » affirme que les travaux seront réalisés « sans aucune subvention publique », il semble que le propriétaire du bail soit une « association foncière » regroupant des membres de la commune de Prenois et des membres du Grand Dijon. Par ailleurs, il semblerait que la carte communale (définissant les règles locales d’aménagement) soit en cours de rédaction à Prenois et que ce soit l’entreprise liée au circuit qui ait proposé d’en financer la réalisation à travers l’embauche d’un bureau d’études.
Étant donné le poids économique que représente le circuit, et au vu de ces informations (à confirmer), on est en droit de s’interroger sur l’indépendance de la mairie et sur la justesse de ces vues dans ce dossier abracadabrant.
Il serait nécessaire que toute la lumière soit faite quant à d’éventuels conflits d’intérêts. Et plus généralement, il serait nécessaire que les riverains soient au fait de toutes les implications économiques et environnementales de la gestion et de l’extension de ce circuit avant que ne soit sacrifié 50 nouveaux hectares de forêts à un loisir qu’on pourrait sans trop exagérer qualifier de suicidaire.

 

Perspectives immédiates

Une fois que l’ONF, la mairie et le circuit auront trouvé un terrain d’entente concernant les mesures de compensation, ce sera à la Direction départementale des territoires (c’est-à-dire à la préfecture) de formuler une autorisation de travaux. Puis, comme à chaque fois dans ce genre de projet d’aménagement, se tiendra une enquête publique à laquelle les citoyens concernés pourront participer en formulant des remarques (qui ne seront logiquement prises en compte que si elles ne remettent pas en cause le projet en tant que tel).

Avons-nous encore les moyens de nous plier à ce genre de fantaisie émanant des cerveaux malades des industriels du luxe ? Voulons-nous encore souscrire à un monde où les pauvres regardent béatement les riches s’amuser à faire du bruit et à bousiller l’air ambiant par l’intermédiaire de leurs bolides rutilants ? Voulons-nous réellement sacrifier l’intégrité et la richesse naturelle de notre territoire aux lubies de touristes fortunés en mal d’adrénaline ? Une véritable politique de développement local ne devrait-elle pas être fondée non pas sur l’annexion des zones rurales par les métropoles conquérantes, mais sur l’aide à l’installation de paysans, sur l’autonomie et la reconquête du foncier pour des activités agricoles utiles ou des loisirs de nature ?
La course à l’abîme doit être contestée et freinée. Il est indispensable de s’opposer partout où nous vivons, dans les lieux que nous habitons au quotidien, à la démesure et aux projets hors-sol des modernisateurs aveuglés par leurs plaisirs à courte vue.

Un certain nombre d’acteurs locaux trouvent sans doute leur compte dans cette histoire du fait des retombées économiques favorables. Cependant, est-ce trop d’exiger que nous nous hissions au-delà de l’appât du gain immédiat pour essayer de nous questionner sur l’avenir de nos territoires à l’heure du réchauffement climatique global ? Mis à part la médiocrité des arguments en termes de loisirs et d’emplois, il paraît évident que la Métropole ait anticipé l’évidence que ce serait sur le terrain de l’écologie que le projet achopperait. Prenant les devants, elle n’a donc pas hésité à appliquer la devise « plus c’est gros, plus ça passe », en osant essayer de cacher la destruction de 50 hectares de forêts par une prétendue « réduction de l’impact environnemental ». Il est inconcevable qu’un projet d’une telle absurdité puisse voir le jour. C’est plutôt à la réduction voire à la fermeture de tels lieux qu’il faudrait travailler. Il sera donc proposer dans les prochaines semaines diverses initiatives afin que la lumière soit faite sur les rouages d’un tel projet, et si besoin est, le bloquer.

Quelques riverains et riveraines excédés