Résilience, de quoi parle-t-on ?
Article paru dans Transrural Initiatives n°490, mars-avril 2022
« Résilience » fait partie de ces mots qui, sous l’influence de la novlangue néo-libérale, subissent de fortes distorsions d’interprétation. Le pouvoir, dans sa lutte contre la propagation du Covid-19, lance une opération militaire appelée « opération résilience ». La loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique est abrégée en « loi climat et résilience ». La résilience est partout et donc nulle part. C’est pourquoi, avec son livre Contre la résilience : à Fukushima et ailleurs1, Thierry Ribault a raison de dénoncer une « funeste chimère promue au rang de technique thérapeutique face aux désastres en cours et à venir » et où les victimes sont érigées en « cogestionnaires de la dévastation ». Ce mot serait devenu l’outil marketing d’un pouvoir qui cherche non pas à résoudre les problèmes de la crise écologique mais à sauver le système qui en est à l’origine.
Dans la généalogie foisonnante de ce concept, qu’il nous est impossible de synthétiser ici tant ses usages disciplinaires sont multiples (en psychologie, en sociologie, en économie, en écologie…), identifions un dénominateur commun : la résilience caractérise une modalité de réponse d’un système perturbé. Et tout le débat se situe sur la nature de cette réponse, s’agit-il d’une capacité d’adaptation, de résistance ou de récupération ?
En écologie scientifique, la résilience est la capacité, en cas de perturbation, à maintenir certaines des structures ou fonctions qui permettent à un écosystème de fonctionner et d’assurer sa pérennité. Mais l’écosystème après perturbation ne sera pas exactement le même : il aura évolué grâce à un processus d’adaptation dynamique. Après un incendie, une forêt diversifiée aura une réserve de graines dans le sol lui permettant d’assurer sa pérennité, mais selon une dynamique évolutive qui sera alors différente. La biodiversité lui permettra de maintenir son potentiel évolutif mais pas de revenir à un « état de référence ». C’est pourquoi il ne faut pas confondre le concept de résilience avec celui de résistance – capacité d’un système à rester fondamentalement inchangé lorsqu’il est soumis à une perturbation – et celui de récupération – capacité d’un système à retrouver la croissance ou toute autre caractéristique affectée négativement après une perturbation.
La résilience n’est pas premièrement un concept conservateur, elle ne produit de la stabilité que parce qu’elle permet de maintenir une dynamique. On comprend alors que l’enjeu politique, avec ce concept de résilience, se situe autour de ce que l’on appelle l’« état de référence ». En société comme pour un écosystème, existe-il un « état de référence » qu’il faudrait récupérer ? C’est la posture de ceux qui confondent le concept de résilience avec celui de résistance ou de récupération. Avec le concept de résilience, il ne s’agit pas de revenir à ou de récupérer un état de référence dans la promotion d’une stabilité, il s’agit d’identifier les fonctions ou structures d’un système qui permettent à celui-ci de maintenir son potentiel évolutif2.
Si l’on applique cela aux systèmes alimentaires, aujourd’hui majoritairement industriels, on peut dire qu’ils sont peu résilients car peu diversifiés là où la diversité (des acteurs, des productions, des paysages…) est une fonction importante permettant de maintenir un potentiel évolutif. Ainsi, dans l’anticipation de perturbations (par exemple une pandémie ou un dérèglement climatique), l’une des préoccupations politiques majeures doit bien être de renforcer la capacité de résilience du système alimentaire, par l’enrichissement de la diversité de ses fonctions et de ses composantes, et pour lui permettre de continuer de répondre à des besoins élémentaires tout en adaptant ses pratiques suite au signal que la perturbation lui donne. Au lieu de cela, et dans une visée conservatrice, les politiques néolibérales de défense du complexe agro-industriel cherchent plutôt à récupérer le système pré-perturbation, à en rétablir ses coordonnées pour revenir à une stabilité pré-crise (le fameux « retour à la normale»). Et ils appellent injustement cela la « résilience » alors qu’il s’agit simplement d’une volonté de récupération et de résistance du système face à la nécessité de le faire évoluer en prenant réellement la mesure de la nature des crises auxquelles il fait face.
Léo Coutellec – enseignant, chercheur, paysan
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L’Échappée, 2021.
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Un concept que j’emprunte à Patrick Blandin, du Muséum national d’histoire naturelle dans : De la protection de la nature au pilotage de la biodiversité, 2009, Quae.