NUCLEAIRE SOUS CONTROLE

Alors qu’une réunion d’information sur Bure et la question des déchets nucléaires était organisée dans le village de Mâlain mardi 29 mai dernier, des « forces de l’ordre » s’étaient aussi invitées. Ils étaient postés en bas de la rue – qui est en fait une impasse qui mène à la gare – et ont contrôlé tous ceux qui passaient par là, à la grande surprise des habitants. Est-il donc possible de se poser des questions sur le nucléaire et la gestion de ses déchets sans être immédiatement surveillé et enregistré dans des fichiers ? Ont-ils trouvé un nouveau lieu de dissidence suffisamment inquiétant pour venir y jeter un œil ? Même les mangeurs de pain venus simplement chercher leur commande ?

En tous cas, ils ont aidé à rendre cette rencontre intense tout en démontrant que l’enjeu était capital !

Depuis des décennies, des habitants de la Meuse et des militants nucléaires s’opposent en effet au Projet CIGEO d’enfouissement des déchets nucléaires. Le moment actuel est crucial car les travaux vont bientôt commencer, les autorisations administratives être données. Alors que les opposants ont été évacués du bois qu’ils occupaient et que la répression s’est déployée sans retenue, pour l’Etat l’ordre doit régner et le nucléaire rester confiné dans la sphère des experts et des industriels du secteur. Pourtant les prochains mois seront décisifs, à commencer par la journée de rencontre et de manifestation du samedi 16 juin 2018 à Bar le Duc qui doit rassembler le plus de monde possible.

Pour informer et mobiliser, des rencontres sont organisées partout. A Mâlain, un bref film a d’abord permis de faire le point sur la lutte menée ces derniers mois ; des habitants sont ensuite venus raconter la situation à Bure et dans les environs et répondre aux questions. De nombreuses personnes sensibles au sujet ont pu témoigner.

Officiellement, le discours est bien rodé, les messages explicatifs ont été testés et validés en haut lieu : il n’y aurait pas d’alternative à l’enfouissement à Bure, il s’agirait même de la solution la moins risquée et la plus écologique puisque les déchets sont là et qu’il faut bien trouver une solution. Dans ces conditions, les opposants sont repeints en dangereux fanatiques qui empêcheraient l’État et ses ingénieurs de traiter le problème des déchets. Cette rhétorique est censée mettre un terme aux discussions, clouer le bec aux grincheux, rassurer les hésitants.

Mais ce discours est bien fragile et douteux. Il néglige les innombrables incertitudes sur le financement, la réversibilité du processus, la capacité à garantir l’imperméabilité du site sur une durée de 100 000 ans, la volumétrie à traiter et la possibilité même de garder la trace et la mémoire de ces déchets enfouis en profondeur pour des centaines de milliers d’année. Les failles du projet sont nombreuses mais sont sans cesse euphémisées, niées, au nom de la confiance dans le génie des ingénieurs et de l’absence d’alternative.

Même si ce n’est pas aux opposants et aux habitants de trouver des solutions aux folies nucléaires, voici pourtant une bonne idée issue de ces échanges et que nous livrons à la réflexion collective :

Si la lutte de Bure est bien une lutte locale, fondée sur la défense d’un territoire, elle n’est pas que cela et doit trouver les moyens de s’élargir. Alors que les autorités veulent confiner la question dans les alentours du petit village de Bure pour empêcher qu’elle ne déborde partout, nous devons œuvrer à la faire déborder : le problème est tellement important et universel qu’il mériterait, à minima, que tous les citoyens sur plusieurs générations se sentent concernés.

Afin que la lutte à Bure devienne enfin un enjeu national, voire international, qu’elle devienne visible aux yeux des générations qui sont et seront impactées, imaginons par exemple que se créé en France, un peu partout, des comités réclamant leur propre site d’enfouissement de déchets nucléaires.

Au nom, par exemple, des formidables subsides qui sont déversées par l’Etat à Bure. En invoquant, le droit à la concurrence entre les territoires. En réclamant l’arbitrage de l’Etat, d’une cours de justice, de l’Europe…

Par exemple, réclamons un site d’enfouissement de déchets nucléaires dans nos villes et villages. À Paris. Dans la Baie de Somme. Sous les vignobles du patrimoine français. Sous la future cité de la gastronomie de Dijon, sous le Mont Saint Michel ou le château de Versailles…

Cela aurait la vertu de faire prendre conscience aux gens, habitants à proximité de ces initiatives, de l’incongruité (le mot est faible) de ce projet à Bure.

Alors, bien sûr, c’est délirant. Mais ça aurait de la gueule, et serait très médiatique.

En savoir plus : le site de lutte contre le projet d’enfouissement de déchets nucléaires