L’émergence d’une agriculture écologique, paysanne et citoyenne a eu lieu. Notre utopie n’est plus un rêve, elle s’est transformée pour devenir concrète, incarnée, diverse comme en témoignent ces multiples initiatives collectives locales qui, sur tous nos territoires, allient renouveau paysan et démarche citoyenne. Pour que ces initiatives deviennent significatives, sortent de leurs « niches » nous dit-on, nous sommes maintenant incités de toute part à changer d’échelle. Mais raisonner ainsi, c’est avouer son impuissance à comprendre le niveau rhizomatique de ces démarches. Les changements technique, organisationnel, agronomique, économique qui s’expérimentent à ce niveau-là ne seraient que vaines tentatives s’ils ne s’accompagnaient pas de la construction lente et progressive d’une autre culture de l’agriculture et de l’alimentation. Ce qui s’ouvre avec ces utopies concrètes, c’est la voie agri-culturelle.

Alors il n’est plus question de changement d’échelle mais de ré-appropriation par tous les citoyens de la question alimentaire et agricole qui ne forme qu’une seule et même problématique. L’enjeu est celui de renforcer l’alliance vertueuse entre paysans et citoyens dans la conviction que l’on ne peut sortir du productivisme sans sortir du consumérisme. Précisément parce que la culture du productivisme est celle de la consommation (avec un principe de base « produire toujours plus pour consommer toujours plus »). Ainsi changer de mode de production ne suffit pas, c’est tout un imaginaire qu’il nous faut ré-inventer, ce sont des mots qu’il faut bannir (exploitation, consommateur, …) et d’autres qu’il faut se ré-approprier (paysan, coopération, progrès…), ce sont des murs à faire tomber pour sortir l’agriculture de son corporatisme et des ponts à reconstruire pour reconnecter celle-ci à l’alimentation et au territoire.

La voie agri-culturelle appelle à former des communautés citoyennes d’apprentissage et d’initiatives autour de la question alimentaire et agricole, dans lesquelles le risque et l’investissement sont socialisés (pour une économie solidaire), les savoirs et les savoir-faire sont partagés (pour une éducation populaire), les choix et les orientations sont discutées démocratiquement (pour une démocratie alimentaire). Avec le mouvement Terre de Liens, celui des AMAP et toutes les autres dynamiques qui dessinent le nouveau paysage d’une agriculture citoyenne, ouvrons partout où cela est possible cette voie agri-culturelle comme recherche et construction collectives d’une autre culture de l’agriculture.

Léo COUTELLEC